- RÉSINEUX (FORÊTS DE)
- RÉSINEUX (FORÊTS DE)Les résineux sont, pour les forestiers, les Gymnospermes arborescents, et spécialement les Coniférales, par opposition aux essences d’Angiospermes dites «feuillues». Leurs peuplements sont généralement sempervirents; on trouve cependant de notables exceptions (Taxodium et surtout mélèzes).Les forêts résineuses ont une grande ancienneté: déjà, les versants de la chaîne hercynienne en cours de démantèlement abritaient, il y a 300 millions d’années, les premiers Lebachia (Carbonifère supérieur) et les forêts de Voltzia du Trias devaient ressembler aux pinèdes xérophiles actuelles.Bien que considérablement moins nombreux que les Angiospermes, les Conifères, loin de constituer un groupe en voie d’extinction, occupent une place considérable dans la végétation mondiale. Les raisons de leur persistance sont multiples. Beaucoup de leurs phylums ont conservé d’importantes potentialités évolutives, attestées entre autres par la diversification spécifique post-glaciaire des Abies circumméditerranéens (cf. aire MÉDITERRANÉENNE); l’existence, fréquente dans ce groupe, de feuilles aciculaires à structure xérophytique permet à un grand nombre de ces arbres de résister à de longues périodes sèches ou froides. Ils sont ainsi les seuls à croître aux limites septentrionales et altitudinales de la forêt, ainsi qu’aux marges des déserts. Leur longévité, multimillénaire dans le cas de séquoias et de pins de l’ouest des États-Unis, et surtout leur faculté de coloniser rapidement tous les sols, même les plus ingrats, qualités auxquelles s’ajoutent fréquemment une productivité forestière élevée et une valeur ornementale certaine, expliquent l’extension anthropique récente des résineux. Cette progression, qui s’effectue souvent aux dépens des feuillus, a surtout des causes économiques. Elle présente cependant des inconvénients sérieux dans nombre de cas: les Conifères donnent une litière, riche en résine et en tissus sclérifiés, mal décomposable, génératrice de mor sur les sols acides [cf. HUMUS]; arbres sociaux, les résineux sempervirents à couvert dense provoquent, dans les peuplements artificiels surtout, des perturbations du milieu aux multiples conséquences.Les forêts résineuses naturellesBeaucoup de forêts résineuses naturelles sont déterminées par le climat, et constituent généralement l’aboutissement (climax ) des séries évolutives allant du sol nu à la forêt [cf. FORÊTS].Étagement altitudinalDans les massifs montagneux de l’Europe moyenne, la plupart des étages de végétation sont caractérisés par une ou plusieurs formations où les résineux sont prédominants, sinon exclusifs. Dès l’étage montagnard (altitude minimale: 1 200 m dans les Alpes du Sud, plus basse vers le nord), selon la pluviosité, croissent des sapinières, pessières ou pinèdes, pures ou mêlées aux feuillus tels que hêtres et érables (cf. FORÊTS, tabl. 1). La domination des résineux devient absolue à l’étage subalpin, vers 1 600 m d’altitude, où les pins à crochets, arolles (Pinus cembra ) et mélèzes atteignent ou parfois dépassent 2 400 m, s’arrêtant au seuil de la toundra d’altitude (étage alpin).Les forêts résineuses sous climat humide (1 500 mm et plus de précipitations par an) et pas trop froid (étage montagnard) sont parmi les plus impressionnantes par leurs dimensions et leur richesse. Telle est, dans le Jura, la sapinière de la Joux: aux sapins, dont beaucoup atteignent 50 m de hauteur, se mêlent quelques hêtres et épicéas; le sous-étage comporte des buissons – chèvre-feuille noir, sureau à grappes, églantier (Rosa pendulina ) – et un nombre important d’herbacées (plus de soixante-dix) – Adenostyles pourpres, dentaires blanches, géraniums roses, véroniques bleues – croissant rapidement dès la fin du printemps à la faveur d’un sol riche et frais. Une telle diversité végétale implique une égale richesse faunistique; elle se traduit aussi par une productivité ligneuse élevée (11 m3/ha/an, parfois plus, avec un cubage de 800 m3/ha).Les sapinières et pessières montagnardes d’Europe occidentale ont des caractères semblables, bien que la richesse du tapis herbacé et la productivité soient variables selon le sol (plus faibles sur les substrats acides à mor ). Des homologies plus lointaines existent au sein des étages humides d’autres régions du globe: forêts de Cryptomeria japonica , atteignant à Hond 拏 60 m de hauteur, de Fitzroya au Chili méridional, enfin et surtout la grande sylve côtière de la façade pacifique nord-américaine, avec ses Séquoia de 60 à 100 m de hauteur au sud et ses Tsuga , Pseudotsuga , Thuya , Abies , presque aussi hauts, vers le nord.À ces forêts d’atmosphère humide s’opposent les peuplements résineux des montagnes plus sèches. En Europe moyenne, pour un indice pluviométrique inférieur à 1 500 ou à 1 000 mm/an selon l’exposition, la sapinière est remplacée par la pinède de pins sylvestres (bassin de la Durance, Cerdagne, vallées sèches du Massif Central, versant alsacien des Vosges). La sécheresse du milieu est exprimée par le sous-étage, assez éclairé, où se pressent des plantes basses à feuilles coriaces: petit-buis (Polygala chamaebuxus ), raisin d’ours, globulaires. Plus lumineuses encore sont les pinèdes subalpines à Pinus uncinata et surtout les mélézaies des Alpes internes, dont la strate herbacée s’apparente le plus souvent à une véritable prairie.De telles forêts claires sont évidemment à leur place dans les montagnes méditerranéennes, quand l’homme ne les a pas détruites; ainsi subsistent quelques beaux peuplements de pins laricio, par exemple en Corse (P. laricio corsicana ), les cédraies de l’Atlas (Cedrus atlantica ) ou, à l’état résiduel, celles du Liban (C. libani ). Un cas extrême de ces boisements relictuels est constitué, au cœur du Sahara (Tassili n’Ajjer), par le Cupressus dupreziana , dont il ne reste plus qu’une centaine d’individus incapables de se reproduire dans les conditions actuelles.Les facteurs historiques jouent en effet un rôle particulièrement important dans le peuplement résineux des montagnes, comme en témoigne l’absence, à l’état spontané, de l’épicéa, du mélèze ou de l’arolle dans les Pyrénées [cf. RÉPARTITION DES FLORES ET DES FAUNES]. Il en est de même dans la réalisation de taxa néoformés. C’est à un effet évolutif de même ordre que l’on doit les variations clinales observables dans les pessières du Jura: dans la partie inférieure de l’étage montagnard, vers 1 000 m, les épicéas ont une croissance rapide, une forme conique, de jeunes cônes verts; plus haut apparaissent progressivement des formes génétiques, qui prédominent au-dessus de 1 400 m: croissance lente, port columnaire assurant une meilleure résistance à l’enneignement massif, jeunes cônes rouges les différencient des précédents. Ces transformations physiologiques et morphologiques ont la plus grande importance en foresterie: la qualité d’une plantation de résineux dépend beaucoup, pour une même espèce, de l’origine et de la pureté génétique des semences utilisées pour le reboisement [cf. SYLVICULTURE].Zonation latitudinaleLes conditions climatiques progressivement plus rudes au fur et à mesure que la latitude augmente font descendre les peuplements des étages montagnards vers les plaines. Déjà, le sapin pectiné forme un îlot en basse Normandie, tandis que les pinèdes (Pinus silvestris ) s’étendent largement sur l’Europe tempérée froide, relayées en Pologne orientale (forêt de Bialowieza) par les premières pessières de la forêt boréale. Celle-ci est une immense sylve (taïga), en majorité résineuse, presque continue autour du globe: elle forme plus du tiers des forêts actuelles! Toujours de croissance médiocre, elle perd vers le nord ses essences les plus exigeantes (Abies , Tsuga au Canada), enfin se clairsème et forme la taïga subarctique.Alors qu’en altitude la limite d’extinction de la forêt est souvent nette, il existe entre taïga et toundra une zone de transition de plusieurs dizaines de kilomètres, l’hémi-arctique de J. Rousseau. Là ne subsistent plus que de maigres lanières forestières, situées dans les vallées, d’où s’échappent quelques arbres pionniers aux formes torturées. Comme à la limite du subalpin, ces peuplements sont résineux, à de rares exceptions près, sans doute d’origine historique (Betula tortuosa en Islande). Les genres principaux sont des épicéas (Picea glauca et mariana au Canada, P. excelsa en Eurasie), plus rarement des pins (Scandinavie, Sibérie) ou des mélèzes: Larix dahurica , en Sibérie orientale, résiste à – 70 oC et s’avance jusqu’à 72o de latitude nord.Forêts édaphiquesSous un climat donné, certaines particularités du substrat s’expriment par un peuplement résineux original. Telles sont les forêts subtropicales inondées du sud-est des États-Unis, dont les cyprès chauves (Taxodium distichum ) se drapent des longues chevelures de Tillandsia usneoides ou, à l’opposé, les petits bois de Pinus uncinata , stade subterminal de l’évolution des tourbières bombées à l’étage montagnard inférieur [cf. TOURBIÈRES]. Leur aspect souffreteux fait un singulier contraste avec l’opulence des forêts voisines: ils évoquent la taïga subarctique dont ils sont peut-être un vestige, survivance de la végétation tardiglaciaire à Betula nana (Jura, Margeride).Les forêts résineuses secondaires ou anthropiquesLe pouvoir colonisateur des résineux, et surtout des pins, se manifeste particulièrement dans les zones tempérées chaudes. Là, de vastes espaces à climax «feuillu» ont été conquis par les Conifères à la suite de la destruction par l’homme de la forêt primitive. Ainsi, dans une partie importante de la France méditerranéenne, sur les «ruines» de la chênaie d’yeuses a pris pied une garrigue à cistes, puis la pinède de pins d’Alep, paraclimacique. Dans les landes de Gascogne, le chêne-liège occidental a régressé au profit du pin maritime, tandis que la luxuriante forêt «chinoise» de Virginie s’efface devant la monotone pinède à Pinus taeda. L’homme n’a pas eu seulement un effet indirect sur l’équilibre forestier; il a souvent favorisé, par ses plantations et semis, les résineux. Ainsi se sont substitués au climax «feuillu» des peuplements de pins maritimes ou sylvestre en Sologne et dans nombre de forêts du bassin de la Seine (Fontainebleau, Rambouillet), et de pins noirs en Champagne crayeuse. Dans toute l’Europe tempérée froide, la hêtraie ou même la pinède climacique (à Pinus silvestris v. scotica , en Ecosse, par exemple) font place aux pessières ou mélézaies artificielles.Les plantations ainsi réalisées ont souvent une productivité meilleure que la forêt spontanée, et le choix judicieux de races «nobles», bien adaptées au sol et au climat, aboutit à la constitution de véritables milieux équilibrés dont le cortège floristique et faunistique a acquis une certaine richesse: pessières planitiaires d’Allemagne, pinèdes à Goodyera repens et parfois à Pyrola chlorantha du Bassin parisien.Cependant, ces réussites ne doivent pas conduire à une généralisation de l’enrésinement; le bouleversement des biotopes résultant de la substitution des résineux aux feuillus entraîne la disparition de la majorité des plantes préexistantes (à l’exception de quelques espèces sociales: Bryophytes, Pteridium ...), l’extinction des chaînes trophiques animales qui en utilisaient les produits, et une perturbation qualitative et quantitative de l’eau du sol dont la rétention est généralement augmentée, surtout sous les pessières [cf. SYLVICULTURE].Le danger d’incendie, enfin, est particulièrement aigu; si de minutieuses précautions ont permis d’éviter de nouvelles catastrophes dans les landes de Gascogne, il n’en est pas de même dans les régions méditerranéennes où les forêts eurésinées restent extrêmement fragiles.
Encyclopédie Universelle. 2012.